Multilatéralisme, diplomatie et dialogue politique

Rut Diamint

I. diamint27L’année prochaine, le Sommet des Amériques organise une rencontre sous la devise suivante : “Garantir le futur de nos concitoyens en promouvant la prospérité humaine, la sécurité énergétique et un environnement durable.” Le processus des Sommets est un mécanisme qui vise à promouvoir le dialogue, le multilatéralisme et l’inclusion sociale et qui offre aux parlementaires l’occasion de faire entendre la voix de la société civile.

La prise de conscience croissante de défis dans notre hémisphère au niveau global nous mène à partager des points de vue et des valeurs visant à harmoniser les initiatives qui tendent au progrès, à la prospérité et à la paix de nos nations. Le dialogue au sein du Sommet des Amériques contribue à la gouvernabilité régionale, laquelle ne peut pas se manifester sans l’inclusion de toutes les institutions gouvernementales et sans la participation des acteurs sociaux du secteur privé et non gouvernemental.

Dans ce contexte, les législateurs jouent un rôle déterminant car ils exercent la démocratie au niveau multilatéral, renforcent la division des pouvoirs et représentent les citoyens. Les législateurs traduisent les demandes et les besoins de la société en actions et décisions qui, vu le caractère de la mondialisation, envahissent de plus en plus souvent le terrain de la politique extérieur. Il s’agit d’un exercice de pluralisme, de concertation et de génération de confiance.

II.

Il est vrai qu’il n’est pas possible d’unifier les attentes des différents acteurs des pays latino-américaines qui assistent aux dialogues et rencontres ; il est également vrai que ces réunions sont critiquées parce qu’elles ne produisent pas de propositions concrètes et n’aident pas non plus à adopter des mesures spécifiques.

Si nous acceptons que le dialogue politique est basé sur les valeurs de la justice comme facteur de stabilité (en définitive, un bien publique global), cet échange évite non seulement des conflits mais favorise aussi les comportements démocratiques. Cette correspondance et ces réflexions conjointes consolident les pratiques républicaines. Les processus de communication permettent une meilleure compréhension des aspirations mutuelles de chaque acteur national et leur donnent davantage de transparence. Le dialogue éloigne la violence et crée un espace où il est possible d’articuler les questions d’intérêt public selon différentes perspectives. Dans ce sens, le dialogue est le résultat d’un processus de coopération et de travail conjoint visant à construire une signification commune aux interlocuteurs.

Nous avons vu que le dialogue transforme la pensée collective et se constitue en un instrument de changement, en adaptant des réalités différentes et en les traduisant dans une langue commune car ce qui rend le dialogue plus puissant c’est sa faculté à surmonter la méfiance et renforcer les coïncidences.

III.

Certains pourraient se demander si un dialogue asymétrique est bénéfique pour toutes les parties impliquées. Le dialogue politique aide à incorporer une diversité de points de vue nationaux et régionaux qui, en période de mondialisation, permettent de prendre des décisions plus justes sur un agenda international qui doit obligatoirement être partagé. Une densité différente dans des dialogues parallèles renforce la volonté de l’association.

Il est important de rappeler que le dialogue ne signifie pas nécessairement l’absence de tensions. Les expériences nationales latino-américaines de dialogue politique sont en réalité des expériences de conflits. Les tables de dialogues ont été crées pour générer une base de tolérance entre des secteurs qui étaient considérablement éloignés les uns des autres. Le dialogue était le premier pont pour réconcilier des ennemis historiques.

Néanmoins, ceci n’est pas le cas du dialogue qui a lieu dans le cadre du Sommet des Amériques. Dans ce cas il s’agit de consultes amicales. Dans la rhétorique du dialogue est exprimé la volonté d’approfondir une association stratégique. Malgré les différences, le dialogue politique est toujours positif. L’entente avec des acteurs qui ont des styles, des opinions et des intérêts différents dans un cadre de discussion accordé au préalable montre que la démocratie est essentiellement un mécanisme de négociation de différences.

IV.

Certains analystes affirment que le contexte hémisphérique est devenu plus instable. Il est indéniable que les mouvements politiques de dernières années peuvent être déconcertants: des interruptions brusques de mandats presidentiels, de nouveaux leaders sans parti politique, des crises économiques et énergétiques, des manifestations citoyennes et mouvements contestataires qui paralysent le commerce et le transport, des divisions sociales et des courses à l’armements. Malgré cela il faut partir d’une constatation positive: aucun des leaders politiques latino-américains, quel que soit leur degré idiosyncrasie, ne rejette la légitimité démocratique. Il y a des défaillances, des périodes d’instabilité et des crises, mais il y a aussi des élections relativement propres. Jorge Castañeda signale que les hommes politiques latino-américains s’intéressent davantage à la politique en tant qu’instrument pour conserver le pouvoir qu’au pouvoir en tant qu’instrument pour faire de la po0litique.[1] Pourtant, malgré ces particularités, aucun de ces leaders ne renie la démocratie et ses pratiques.

Comme l’a manifesté l’ex-président Osvaldo Hurtado,[2] les citoyens latino-américains attendent que la légitimité juridique de la démocratie acquière une ample légitimité sociale dont elle est encore dépourvue afin que l’Etat puisse satisfaire les besoins et résoudre les problèmes des habitants en corrigeant les injustices, en éliminant les privilèges et en offrant des opportunités aux victimes de l’exclusion sociale. La répartition de la richesse doit être un levier fondamental de la croissance. La plupart des pays latino-américains sont encore lourdement en dette dans le domaine des droits de l’homme et des droits civils.

C’est pour cela que l’occasion de participer à une rencontre comme le Sommet des Amériques est une forte motivation pour les parlementaires. Dans nombre de pays latino-américains, les législateurs ont une marge d’action très limitée face à des systèmes présidentiels autoritaires et centralisateurs. Au cours de ces années de démocratie, l’efficacité parlementaire s’est améliorée,[3] mais, dans les instances parlementaires multilatérales, ce progrès n’a pas été accompagné d’une prise de décisions capable de modifier les mandats politiques des Pouvoirs exécutifs.

L’action conjointe du Sommet contribue au renforcement de la légitimité directe des parlements nationaux et régionaux et c’est un vecteur incontournable pour transmettre les intérêts de la société civile. La prise de conscience croissante de la société en ce qui concerne ses droits et ses obligations détermine qu’à l’heure actuelle l’Etat ne soit plus le seul acteur chargé de définir l’ordre social. Les différents acteurs sociaux ont trouvé de nouvelles formes d’existence sociale qui ne dépendent pas exclusivement de la politique gouvernementale. Le citoyen ne joue plus uniquement un rôle d’observateur social mais il agit aussi comme constructeur d’une communauté collective capable de produire des changements, comme sujet de relations transfrontières. Les parlementaires sont les vecteurs d’expression de cette nouvelle société internationalisée.

 

Finalement, la participation des législateurs permet d’augmenter la visibilité du Parlement en faisant connaître le travail des parlementaires et les débats qui ont lieu dans l’enceinte du Parlement. Ces interventions sont une sorte d’écran qui reflète l’efficacité des Congrès, l’importance de leur action multilatérale et l’avancement de la démocratie.

 


 

[1] Jorge Castañeda, “Latin America’s Left Turn,” Foreign Affairs, Vol. 85, Numéro 3, mars avril 2006.

[2] Osvaldo Hurtado, “Democracia y gobernabilidad en los países andinos,” Foreign Affairs en Español, Vol. 5, Numéro 4, octobre décembre 2005.

[3] Ricardo Gil Lavedra, “Un vistazo a las reformas constitucionales en Latinoamérica,” Seminario en Latinoamérica de Teoría Constitucional y Política (SELA), Law As Object and Instrument of Transformation, article présenté à Punta del Este, Uruguay, du 6 au 9 juin 2002; Arturo Valenzuela, “Latin American Presidencies Interrupted,” Journal of Democracy, Année 15, nº. 4, octobre 2004.

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